lundi 27 juillet 2015

« Froome le mérite »

Christopher Froome remporte son deuxième Tour de France après 2013 - Crédit : Eurosport
[EDITO] La sentence est sans ambiguïté. Pourtant, le jugement ne vient pas des fans du Britannique mais des vaincus. Installés sur le rond-point du Grand Palais, les Colombiens venus supporter Quintana sur les Champs-Elysées félicitent le maillot jaune. Une leçon de fairplay à méditer.

Rien ne lui aura été épargné. Voué aux gémonies par une petite partie du public mais très active, mis sur le bûcher médiatique et attaqué de toutes parts à la pédale par ses rivaux, voilà qu’à 11km de la ligne d’arrivée finale, Chris Froome est contraint de s'arrêter à cause d'un sac à papier, coincé dans sa roue.

Une ultime sueur froide. Mais Chris Froome n’a pas chuté sur les Champs. Pas plus qu’il n’a flanché ces douze derniers jours, depuis ce 14 juillet où il avait assommé le Tour en s’imposant en solitaire en haut de La Pierre-Saint-Martin. « Il le mérite. » Au terme de cette folle édition, les supporters de Quintana, glorieux dauphin du Britannique, n’éprouvent eux pas le moindre doute au sujet de la performance du Britannique même s’ils ajoutent assez rapidement : « Il a eu de la chance mais il le mérite. »

Froome a félicité son équipe Sky sur le podium sans qui il n'aurait pas gagné - Crédit : Eurosport

Ainsi que le disait le manager de la FDJ Marc Madiot, on remporte désormais le Tour « en première semaine », comprendre avant que la route ne s’élève. Effectivement, avant même d’arpenter les Pyrénées, Froome pouvait regarder de haut ses rivaux qui allaient au final compléter le Top 5 avec lui :
  • L’orgueilleux vainqueur du Giro, Alberto Contador, pointait à 1’03’’
  • Le champion d’Espagne, Alejandro Valverde, à 01’50’’
  • Le valeureux Colombien, Nairo Quintana, à 1’59’’
  • Le vainqueur de l’an passé, Vincenzo Nibali, à 2’22’’

Car si la lutte sur les cimes françaises a laissé croire dans un premier temps à la supériorité de Christopher Froome (1’10’’ glanées (avec les bonifications) à La Pierre-Saint-Martin + 1’’ à Mende, soit 1’11’’), c’est bien le Colombien qui a fait par la suite la démonstration de son titre officieux de « meilleur grimpeur du monde ».

En montagne, Quintana est plus fort que Froome


Lors des 19e et 20e étapes, Quintana a repris 1’58’’ à son rival britannique. Au bout du compte, le matelas de Chris Froome avant les Alpes (3’10’’ sur Quintana) n’était plus qu’une paillasse inconfortable sur les Champs Elysées (1’12’’). De nombreux amoureux du vélo ont regretté que le leader de la Movistar n’ait pas « attaqué plus tôt ». Je regretterai personnellement qu'il n’ait pas planifié son pic de forme un soupçon plus tôt ou bien qu’il n’ait pas davantage couru avant de venir sur le Tour pour arriver avec de meilleures sensations.

On a senti les jambes du Colombien un peu rouillées, notamment dans les Pyrénées. Et on peut se dire, sans prendre trop de risques, que s’il y avait eu une étape de montagne supplémentaire dans les Alpes, Quintana aurait peut-être gagné le Tour de France. Car Froome semblait lui au bout du rouleau dans l’alpe d’Huez.

A seulement 25 ans, Quintana repart avec le maillot blanc de meilleur jeune, comme en 2013 - Crédit : Eurosport

Le choix du Kenyan blanc de prévoir son pic de forme pour les Pyrénées aura ainsi été magistral. Après dix premiers jours remarquables où son équipe l’a emmené dans un fauteuil jusqu’au contre-la-montre par équipe – perdu face aux BMC pour seulement six dixièmes –, Froome n’aura eu qu’à frapper ses adversaires une seule fois. Une seule. Le 14 juillet. Une date peut-être à l’origine même de la suspicion qui a hanté la deuxième moitié du Tour.

Jour de fête nationale, jour férié donc, c’est la France entière qui a pu assister à l’impitoyable leçon donnée par Froome à tous les autres. Les Français ont vu avec quelle violence le vainqueur du Tour 2013 avait choisi d’imposer son hégémonie. J’avais employé moi-même employé le substantif "tyran" pour parler de Froome au terme de l’étape.

En direct sur France Télévisons, l’ancien coureur Laurent Jalabert jette à demi-mots le doute sur la performance du Britannique. « Jalabert n’est qu’un écho, précise l’éditorialiste Bruno Roger-Petit. Celui d’une certaine France en proie à un malaise identitaire, qui se refuse à admettre que l’épreuve reine mondiale du cyclisme n’ait pas été remportée par un Français en trente ans. »

Le malaise Froome rappelle surtout que la France ne gagne plus


Les coureurs tricolores ne gagnent plus depuis Bernard Hinault en 1985. Terrible ironie puisqu'il s'agit justement de l’année de naissance de Froome. Où est-il le Français de 30 ans qui doit gagner le Tour ? L'impatience domine les autres émotions car voilà trop longtemps que le pays hôte n'a plus vu l’un de ses enfants triompher aux Champs-Elysées. Depuis le Blaireau, la France guette ce mois de juillet où elle sourira pour un autre motif qu’une victoire d’étape, aussi prestigieuse soit-elle. La pression exercée sur les jeunes flèches que sont Bardet (24 ans), Pinot (25) ou Barguil (23) n’y est pas étrangère. Or, conclut Bruno Roger-Petit, « tout se passe comme si Froome et ses performances surhumaines rendaient désormais toute victoire française impossible dans le Tour de France ».

C’est ce constat brutal, violent, exaspérant même qui ne passe pas. La une de Pédale, le magazine hors-série de So Foot dédié au vélo, ne disait pas autre chose avant le départ à Utrecht : « Thibaut Pinot, et si cet homme gagnait le Tour ? »


Car le sport-spectacle est régi par un processus à la fois simple et terriblement puissant : l’identification. Lorsqu’il remporte une victoire, le champion offre la chance à ses supporters de gagner avec lui. De triompher des vicissitudes de l’existence. Un succès par procuration dont la France est privée depuis trop longtemps, réduite à s’enorgueillir d’une place d’honneur (Péraud deuxième et Pinot troisième l’an passé). Fort heureusement, Romain Bardet et Thibaut Pinot, porteurs de tant d’espoirs, ont sauvé le Tour des Français en rejoignant Alexis Vuillermoz au rang des vainqueurs tricolores de cette édition.

Il faudra donc se montrer tout à la fois patient et optimiste. Ces trois hommes victorieux sont des champions. Ils le prouveront encore. Je n’ai aucun doute. Pour une fois.

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